Imaginez : vous aviez un peu d’argent de côté et vous vouliez le placer. Et on vous parle d’un placement sûr, sans risque et qui de fait que monter. Mieux que ça : en plaçant 1000 euros sur ce produit, beaucoup de personnes sont devenues millionnaires. Au début, vous hésitez un peu parce que vous ne comprenez pas réellement comment ça marche. Mais de plus en plus d’influenceurs, ou même de journaux disent que c’est l’avenir, que c’est le meilleur moyen de gagner beaucoup d’argent sans risque. Alors un jour, vous investissez vos économies… Et quelque temps après tout s’effondre. Vous avez perdu tout ce que vous aviez. Ça vous rappelle quelque chose ? Et bien me croirez vous si je vous dis que la première fois que c’est arrivé, c’était à cause d’une fleur ? Croyez-le ou non, c’est la pure vérité. Découvrez dans cet article ce qui s’est passé.
Un article de luxe
Pour comprendre l’histoire, il faut vous plonger dans le contexte. Vous êtes au XVIIe siècle, citoyen de la République des Provinces-Unies, qui est le Pays-Bas actuel. Votre pays est une grande puissance économique. Sa localisation près de l’Espagne et sa puissance maritime ont été favorables pour instaurer un environnement prospère. La majorité de la population est une population qui consomme. En plus de cela, la haute société prend beaucoup de place.
Pour vous donner une idée de l’économie de la République Hollandaise, elle faisait partie de la compagnie des Indes orientales. C’était une des premières Société Anonyme connue jusqu’ici. Elle œuvrait dans le commerce international dans les Royaumes riverains. Plusieurs produits étaient échangés dans la zone commerciale : des matières textiles, des bijoux, des matières premières et des fleurs. Et nous allons nous concentrer sur cette dernière.
Aux alentours de 1602, des marchands ont ramené une plante de Turquie. C’était une fleur à turban que les Hollandais s’empressent d’appeler le Tulband. Vous avez deviné, c’est la tulipe en français. Elle est vite appréciée chez les bourgeois et les nobles qui souhaitent l’avoir dans leur jardin. C’est ainsi que les orticulteurs travaillent pour créer d’autres variétés issues de la tulipe.
Un effet de mode explose dans les Provinces-Unies. Avoir des tulipes dans son jardin est devenu un symbole de richesse. Il fallait à tout prix en avoir par compétition. Le problème est que la tulipe est une plante assez capricieuse. Vu qu’elle n’est pas originaire de Hollande, il faut beaucoup de travail pour réussir sa culture. De plus, elle ne fait honneur de sa floraison qu’en avril et mai.
Comme si ce n’était pas déjà assez tendu, les riches recherchaient surtout une variété particulière. C’est la tulipe marbrée qu’ils veulent et elle est très rare. C’est une mutation grâce à un virus, le potyvirus. Il est donc très difficile d’en obtenir les variétés. Mais aussi, il faut attendre 7 à 10 ans pour avoir un bulbe. Comprenez bien que c’est une fleur de riche.
L’autre problème, c’est qu’il y a plus de riches que de tulipes en Hollande. Il fallait trouver une solution pour faire vivre les vendeurs. Et puisqu’il n’y avait pas moyen d’accélérer la production, il fallait jouer sur la vente. Et les ancêtres des traders ont frappé fort.
Une immense spéculation
Pendant les 8 autres mois de l’année, les vendeurs de tulipes chôment. Mais à côté, les gens de la haute société s’inquiétaient de ne pas pouvoir avoir leurs fleurs prestigieuses lors de la floraison. C’est une opportunité en or, ou en tulipe, à ce stade, c’est à peu près la même chose. Attendez la suite, vous comprendrez pourquoi.
Bref ! Les commerçants les plus créatifs ont inventé un concept de vente, nouveau à l’époque, mais que nous voyons partout aujourd’hui : le contrat à terme. J’explique un peu pour ceux qui ne connaissent pas. C’est un contrat entre un vendeur et un acheteur sur un produit futur. C’est-à-dire qu’au moment du contrat, l’article n’existe pas encore. Mais lorsqu’il sera opérationnel, le signataire est prioritaire dans les ventes.
C’est ce qui s’est passé avec les tulipes. Le commerçant trouve les acheteurs qui commandent des caisses de bulbes. Ensuite, il passe une entente avec le producteur qui promet d’honorer les commandes au mois de mai et avril. Malheureusement, personne ne maîtrise encore le contrat à terme à l’époque. Les spéculations commencent et ne s’arrêtent plus.
Le prix de la tulipe monte en flèche. En 1636, le prix d’un bulbe est environ de 6 000 florins (la monnaie hollandaise de l’époque). Faisons un petit calcul. 1 florin = 12 €. Donc, règle de trois, 72 000 € pour un seul bulbe qui donnera une tulipe. Mais ce n’est pas trop cher pour la haute bourgeoisie qui achète en masse. Les négociants s’enrichissent et les ventes spéculatives continuent.
Et encore, s’il n’y avait que les Hollandais sur le marché ! Tout le monde veut faire fortune avec les tulipes. Des Français sentent l’odeur de l’argent et arrivent aux Provinces-Unies pour négocier des tulipes. Les autorités n’arrivent plus à suivre le mouvement et beaucoup de négociants hors bourse se créent. La fièvre spéculative est à son paroxysme.
Mais ce n’est pas près de s’arrêter. En 1637, le cours des tulipes atteint son pic. Des contrats sans obligations d’achat apparaissent par-ci et par là. Les autorités hollandaises aperçoivent le danger, mais restent impuissantes face à l’engouement de la population. Heureusement, les affaires vont commencer à se calmer par elles-mêmes, mais à quel prix ?
L’effondrement de la tulipe
En février 1637, la bulle spéculative éclate enfin. Les gens de la haute société commencent à se lasser de cette fleur qui se fait désirer. De l’autre côté, plusieurs commerçants rencontrent des pertes à cause de l’absence de garantie. Le prix de la tulipe est en chute libre, c’est le premier Krach boursier de l’histoire.
Par ailleurs, la pandémie de peste bubonique y est pour quelque chose. L’attention de la population s’est tournée vers d’autres préoccupations. Les produits médicinaux sont devenus prioritaires dans le commerce. Même les personnes les plus riches ne se souciaient plus vraiment des futilités comme l’étaient les tulipes.
Par la suite, les autorités hollandaises sont enfin parvenues à prendre le dessus sur la situation. Elles ordonnent l’annulation de tous les contrats à terme. Un bon nombre de commerçants perdent de l’argent, beaucoup d’acheteurs en sont soulagés. Les tulipes ne trouvent plus d’acheteurs et les producteurs sont laissés en reste. Les négociants informels étaient les plus touchés par ce Krach boursier. Ceux qui étaient en règle pouvaient facilement récupérer leur argent sur le marché.
Heureusement, la crise des tulipes ne s’est pas complètement répandue sur tout le marché en général. Il n’y a donc pas eu de conséquence astronomique. On ne note pas de dépression économique grave. C’est sans doute pour cette raison que le reste du monde n’en a pas vraiment retenu de leçon.
Après la crise
Bien que la tulipomanie n’ait pas suffi à empêcher les autres crises, elle a ramené les économistes à une grande prise de conscience. Tout d’abord, la notion de la valeur a été mise en cause. Comment fixer la valeur monétaire des choses ? Comment le prix d’une simple fleur pouvait-il excéder le salaire annuel d’un simple ouvrier ? Et encore, ce n’était pas la fleur en elle-même, mais la promesse de l’obtenir avant les autres pour la saison de floraison.
La crise des tulipes a servi d’exemple à tous les économistes des temps modernes. Elle est une base pour analyser toutes les nouvelles crises qui sont apparues dans le monde entier. On le cite dans différents ouvrages comme « A Random Walk Down Wall Street » de Burton Malkiel ou « A Short History of Financial Euphoria » de John Kenneth Galbraith.
En cette ère d’Internet, la théorie de la tulipomanie revient en force pour contester la cryptomonnaie. Selon les détracteurs de cette pratique, ce serait le même tableau que 4 siècles passés. C’est une course folle et cupide vers l’argent. De plus, la valeur est inconnue et incertaine. Autant la tulipomanie et la cryptomonnaie sont des jeux de loterie qui enrichissent une mimorité pour appauvrir le reste.
La crise des tulipes ne s’arrête pas sur le plan financier. La légende a pris le pas sur de nombreux domaines. Des ouvrages religieux content la tulipomanie comme étant un avertissement divin. C’est l’image des conséquences graves de la cupidité. Selon ces récits, le fait que les hommes se soient concentrés sur une fleur terrestre et insignifiante, les a détournés de Dieu. C’est pour cela que les répercussions ont été aussi graves.
C’est ainsi que l’Église protestante est entièrement contre la spéculation. C’est contre la volonté de Dieu de chercher de la richesse. Cela conduit à la mort éternelle. C’est ce qu’évoque le Tableau de Jacob de Gheyn, Vanitas (vanité), qui montre un crâne et une fleur de tulipe. Cependant, cette œuvre d’art date de 1603, bien avant le krach ! Serait-ce une prédiction ?
Toutefois, la tulipe prendra par la suite une place prépondérante dans la culture hollandaise. Au XVIIe siècle, on verra naître des dizaines de tableaux représentant une nature morte, avec
une tulipe au centre de l’attention. C’est un symbole de la beauté périssable et de la richesse éphémère. Les artistes protestants ont sans cesse mis en avant ce genre de message au cours de la crise, mais aussi après pour que cet épisode catastrophique reste bien gravé dans les mémoires.
Enfin, la crise des tulipes a inspiré de nombreux romanciers, notamment Alexandre Dumas, l’auteur de la Tulipe Noire. L’histoire se passe une trentaine d’années après la tulipomanie, dans les Provinces-Unies. Elle compte l’aventure du nouveau Stathouder qui souhaite créer une nouvelle variété de tulipe : la Tulipe Noire.
Voilà l’histoire folle de la crise des tulipes. Et vous ? Vous achèteriez une fleur à 72 000 € ? Et quel est votre avis sur la spéculation monétaire ? Rendez-vous dans les commentaires.
Sources
https://www.alti-trading.fr/blog/la-crise-des-tulipes/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Tulipomanie#Apr%C3%A8s_la_crise
